dimanche 12 avril 2009

L’odyssée du bathyscaphe, épisode un : les dunes

Voici le premier épisode d'un petit feuilleton racontant l'incroyable voyage des trois visionnaires. A suivre tous les dimanche !







Il est des lettres qu’on ne devrait jamais ouvrir, et encore moins lire… Par cette belle matinée de l’été 2032, je l’ignorais et allais bientôt l’apprendre à mes dépends.

J’arpentais les collines sablonneuses qui depuis plus huit ans étaient devenues miennes. J’errais sans envie tel un dromadaire ; avec le Soleil iranien comme seul compagnon, et avec une seule pensée : ma mission. Garder les frontières de toute intrusion. Confiner les ennemis de la France dans leur désert. Mon désert. Ah ! Mon désert. Un léger coup de vent vint à ce moment là tromper le silence… est-ce lui, l’ennemi de la France ?

Foutaise, il n’y a pas le moindre petit chat dans cette région. Il faudrait qu’on s’y batte avec le vent et le sable. La bouffée brûlante qui tenta une percée dans mon organisme fut mâtée dans les plus brefs délais. Je m’étais fait à l’idée depuis longtemps déjà que mon régiment et moi-même n’étions pas là pour combattre. Patrouiller et nous tenir prêts, voilà ce à quoi nous employions des trésors d’ingéniosité. Quelle fichue guerre, le front est tellement étendu que nos ennemis peuvent apparaître à tout moment, à tout endroit. Et c’est pour ça que l’ordre était de se tenir prêt. Voilà le genre de discours que nous avions entendu maintes fois. Mais la vérité, la vérité véridique était que l’ennui était notre opposant le plus farouche et le plus entêté. Il l’avait prouvé par le passé en nous infligeant extrêmement régulièrement de sévères défaites.

Il ne devait cependant pas vaincre mon esprit ce jour là, et je l’écartai d’un geste de pensée assumé. Pour tout dire une nouvelle idée venait de lui damer le pion dans l’espace limité de ma tête. Je venais de me dire que même des concierges pourraient être à notre place. « Et tiens Abdul, tu as du courrier ! Par contre Omar, il va vraiment falloir que tu payes ton loyer, sinon le proprio’ va te virer ! »
Concierge du désert, voilà ce que je suis, un vétéran perdu à la frontière entre deux mondes. Je fermai les yeux, crispai ma main sur le pommeau de mon épée et poussai un soupire. C’est alors qu’une voix interrompit ce nécessaire dialogue avec moi-même et me fit me redresser dignement.

- Capitaine ! Une lettre urgente de Paris pour vous !

A la bonne heure… L’interpellation par mon subordonné m’irrita dans un premier temps. Qui osait ainsi donc rompre ce beau silence, ce calme transcendantal ? C’est qu’il nous mettait tous deux en danger à vociférer de la sorte ; à réveiller notre ennemi. « Paris »… ce mot sonna durement dans ma tête. Pour une fois qu’un courrier m’était adressé, ce devait sûrement s’agir d’une nouvelle déplaisante. Quelle urgence en provenance de la capitale sinon une mission contraignante, voir ennuyeuse ? (…) Soit. Je le reconnais. Je suis forcé de le confesser : rien à cet instant ne pouvait être plus ennuyeux que l’activité qui m’occupait alors.

A cette seule pensée, mon esprit de compétiteur endormi par des mois d’immobilisme s’éveilla brusquement. Aussi quand mon inférieur m’eut rejoint, je me saisis de l’enveloppe qu’il me tendit et me hâtai de l’ouvrir d’un geste nerveux.
Je me mis à parcourir la missive sur le chemin du campement. Le télégramme dactylographié à la hâte et bourré de fautes de frappe portait le message suivant :

A l’adresse du Capitaine B :
Par ordre de l’Etat-major, vous êtes relevé de vos fonctions. Votre mission actuelle prend fin à compter de la réception de ce courrier.
Vous serez très prochainement muté sur un projet classé secret défense. Intérêts nationaux du pays en jeu. Etes prié de vous rendre à Paris dans les plus brefs délais. Promotion éventuelle à la clef. Pour la France.

Le 13 juin 2032. Colonel CLEMENT

Je déchirai le papier avec agacement. Les gradés ne sont vraiment plus que des bureaucrates de nos jours, ça a le don de me mettre hors de moi. Mais je savais que cet agacement était aussi le fruit de mon excitation. Mission secrète ? Promotion ? Même s’il devait s’agir de balayer le guano des pigeons de Montmartre, j’en serai !

De retour au camp, je réunis promptement mes affaires et saluai encore plus sommairement mes anciens compagnons. La seule compagnie que je jugeais alors satisfaisante était celle de Shââ, le petit chat du désert. Je l’avais découvert à peine sevré et totalement affamé quelques semaines plus tôt. D’abord un peu répugné par cette petite chose duveteuse, j’ai très vite admiré le fait qu’une créature aussi fragile ait pu survivre dans le désert toute seule. J’ai reconnu toute la noblesse de ce cousin du lion dans son stoïcisme. J’ai reconnu toute l’intelligence de ce que furent les perses dans sa façon de fureter chaque lieu nouveau, de jouer avec tout objet laisser à sa portée. Je ne me rappelle plus avoir été ainsi enfant. En tout cas, mes discussions avec le petit félin étaient alors nettement plus captivantes que celles avec mes sous-fifres, au moins aussi abrutis que moi par cette drôle de guerre.

Enfin, cela ne me regardait plus. Dehors, une jeep nous attendait, Shââ et moi, pour de nouvelles aventures. Je clamai intérieurement un adieu poignant à l’adresse de mes dunes, puis notre véhicule démarra en trombe, soulevant un nuage de poussière.

Capitaine B, expert en déserts

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