mardi 21 avril 2009

L’odyssée du bathyscaphe, épisode deux: Les trains






Le kérosène se fait rare en ces temps de conflits. C’est donc dans un train que nous embarquons tous les trois, Shââ, mon sac à dos et moi. Parmi la foule de soldats français aux destins futurs variés, je fais confiance à la logistique de mon armée. Je profite de ce long périple à bord d’un wagon surpeuplé et étriqué pour poser mon regard sur les vastes plaines moyennes-orientales. Mon esprit s’évade de sa boîte de conserve vers ces espaces de liberté. Je sens presque le vent frais et apaisant quand le wagon est une fournaise à l’atmosphère nauséabonde de sueur humaine. Shââ et moi n’en pouvons plus de demeurer immobiles ; le désert que nous voyons de l’autre côté de la vitre en revêt des airs de paradis.

Ah ! Mon désert. Il manque déjà. Nous n’apercevons aucune trace de vie mobile. Pas un troupeau, pas un village. Même la nature et les autochtones reculent face à la guerre et la ville. A quoi bon cheminer jusqu’à Paris ? Paris est déjà là, aux portes de l’Iran. Mais soit ! Je m’en vais retrouver la ville qui m’a vu naître et faire mes armes.

Nous changeons plusieurs fois de train, en transit par des gares militaires isolées. La fraîcheur de l’aube nous sort alors momentanément de notre torpeur asphyxiée.
Arrivés à Paris, ce sont encore des trains qui nous reconduisirent à notre hôtel. J’avais été contraint de placer Shââ dans une petite cage pour accomplir ce dangereux périple dans les couloirs bondés du métro parisien. Rien n’est plus terrifiant que cet amassement de gens pressés et anonymes, à la fois si proches et si indifférents les uns aux autres.

Au moins le désert iranien était-il silencieux. Le désert souterrain lui est hanté par le son obsédant des pas du bétail humain qui marche en cadence désordonnée. Au moins les fantômes persans étaient-ils transparents et invisibles. Les zombies des catacombes modernes, eux n’hésitent pas à vous tamponner sans même lever les yeux vers vous. Ils conjuguent violence et bêtise avec un naturel déconcertant. Le pire c’est que cette maladie est contagieuse. Toute personne normale introduite dans ce zoo se retrouve instantanément contaminée et devient un zombie à son tour. Au moins les iraniens avaient-ils un regard perçant et tueur quand nous les croisions. Les usagers du métro n’ont pas de regard.

Cela dit, au-delà de mon profond dédain, ces automates n’éveillaient pas grand intérêt en moi. Je redoutais davantage la foule pour sa faculté à dissimuler un fourbe chargé de me supprimer subrepticement. Pour plus de discrétion, aucun garde du corps ne me couvrait, j’étais seul avec mon chat en cage dans la main gauche. Ma main droite serrait compulsivement mon révolver dans la poche de mon manteau, au cas où. Mon regard, que je composais impassible à l’image de mes amorphes compagnons, surveillait ainsi non seulement les directions de mes nombreuses correspondances mais également les mouvements suspects.

C’est ainsi exténué, usé physiquement et intellectuellement que je rejoignis finalement ma chambre d’hôtel. Avant même de déposer mon bagage dans un coin, je rendis sa liberté à mon petit compagnon félin. Le chaton après quelques reniflements se mit à explorer frénétiquement son nouveau territoire avec une curiosité affichée.
- Haha ! Ne te fatigue pas trop, Shââ, nous ne restons pas longtemps.

Le seul fait de conjuguer le verbe fatiguer m’éprouva profondément. Je m’effondrai lourdement sur mon lit et m’endormit pareillement.

Baptistisime, Lille, le 12/04/2009

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