mardi 28 avril 2009

L’odyssée du bathyscaphe, épisode trois: Les navires






Le lendemain, je donnai mes instructions au premier groom que je rencontrai. Après l’avoir sermonné longuement sur la bonne façon de s’occuper de mon chat et lui avoir donné une liste très longue de recommandations sur un ton quasi militaire, je me rendis dans un autre hôtel où devait avoir lieu la réunion. J’allais enfin savoir quelle serai ma mission.

Les couloirs de l’hôtel étaient désespérément vides. La moquette fraîchement aplatie par l’aspirateur était lisse et aseptisée. Aussi quand le soldat qui montait la garde à l’entrée de la salle de réunion me demanda si j’étais « l’expert en déserts » j’eus envie de lui répondre de manière désobligeante. Comme annoncer que ce ne devait pas être moi, puisque ce genre de désert urbain ne m’était pas encore connu. Mais ma bouche était bien sèche, je n’avais bu que deux cafés serrés avant de partir. Je m’abstins et entrai avec mon air désabusé des mauvais jours.
A l’intérieur se tenaient trois personnes quand je m’attendais à défiler devant une cohorte d’officiers austères. Mon regard croise ceux d’un officier de l’armée de terre, un de la marine et enfin d’un scientifique en blouse blanche.

- Ah, capitaine, nous n’attendions plus que vous pour commencer le briefing. Je suis le colonel CLEMENT et voici le commandeur FRANCK. Je vous présente enfin le Docteur G. qui sera votre coéquipier sur la mission.

- Messieurs.
Nous hochâmes la tête comme des automates pour nous saluer. Je parcourais le panorama de mes interlocuteurs pour les évaluer. Deux gradés bureaucrates sans intérêt aucun.
- Alors docteur, de quelle discipline êtes-vous diplômé ?
- Oh, il y en a trop, mais je suis docteur en glaciologie, si tel était le sens de votre question.
- Glaciologie ?! Je ne savais même pas que ça existait.
Sur ce, je sortais nonchalamment un petit miroir de ma poche et le tendait l’air impassible au bon docteur. Celui-ci contint un fou rire, avant de secouer négativement la tête, l’air amusé.
- Non non, pas ce genre de glace là ! Rit-il
- Ca se voit.
L’assemblée entière éclata de rire à ma remarque effrontée. Le docteur G. ne semblait, tout comme moi, pas avoir éprouvé le besoin de se raser ce matin-là. Il ne devait pas vraiment connaître l’usage des glaces réfléchissantes, à juger le retour à l’état sauvage d’une grande partie de sa chevelure brune grisonnante. Il devait bien avoir la quarantaine avancée. Du moins, les lunettes d’intellectuel que supportait son nez le vieillissait. Son air jovial et candide le faisait passer pour un enfant innocent ou pour un revenant d’un passé lointain. Une cravate dépareillée surmontant une blouse tachée complétait la panoplie de ce curieux personnage. Assez paradoxalement, le scientifique arborait un port plein d’assurance et de décontraction, les mains dans les poches et affichant le sourire calme et tranquille de celui pour qui tout va pour le mieux.
Le colonel prit la parole.

- Ah, ça me fait plaisir, vous semblez déjà bien vous entendre ! Ca tombe bien, car vous allez devoir vous supporter un petit moment. Commandeur ?
L’homme à l’uniforme bleu déroula alors devant nos yeux une mappemonde.
- Vous l’aurez compris, capitaine, vous partez en expédition scientifique en compagnie du professeur G. Votre destination, la voici.

De sa baguette, il désigna le Pôle Nord.

- Sauf votre respect, messieurs, cette destination n’a rien de fabuleusement exotique. De nombreux hommes y sont allés avant nous, dont des français. Est-ce cela donc la mission top secrète que vous évoquiez ?
- Vous avez raison capitaine ! Même l’emplacement exact du pôle a déjà été foulé par des sous-mariniers russes.
- En même temps, il n’y a plus guère de destinations inconnues sur Terre pour les explorateurs en herbe.
- Exactement ! C’est pourquoi l’innovation de ce voyage… sera de ne pas vous rendre là-haut en ligne droite. Ce serait trop simple ! Non, l’enjeu de ce voyage sera de vraiment connaître le Nord du monde, essentiellement ce qui se passe vraiment sous la banquise, cette épaisse couche de glace réfléchissant la lumière et rendant toute visibilité nulle.
- Je retire ce que j’ai dit précédemment, finalement le docteur G s’y connait en glaces réfléchissantes !

Le docteur émit un geste affirmatif de la tête avant de me faire signe d’écouter la suite du discours du commandeur.

- Aussi, vous utiliserez le dernier modèle de sous-marin d’exploration abyssal mis au point par la marine française pour vous rendre au pôle par voie sous-marine. Votre périple sera l’occasion de cartographier le plancher océanique de cette région et de faire un inventaire de la biodiversité. Ces données n’ont pas été mises à jour depuis longtemps. Mais que l’on ne se trompe pas ! Nous ne sommes pas des enfants de chœur désintéressés. Vous effectuerez également une prospection pétrolière intensive. La cartographie permettra également de repérer des caches potentielles pour nos sous-marins tactiques et nos bases secrètes.

- Je vois… en quoi pensez-vous que je puisse me rendre utile ?
- N’êtes-vous pas le plus grand connaisseur de déserts du pays ?
- Si vous le dites. Cela dit c’est un désert qui manque cruellement de sable.
- Auriez-vous peur de l’inconnu, capitaine ? Me lança, presque moqueur, le docteur G.
- Je n’ai peur que des chutes de météores et des virus, autrement dit de rien. Les déserts ça me connait.
- Vous aviez l’air pourtant un peu sceptique.
- Comment ça ? Je ne vous permets pas de dire ça, docteur ! Vous voulez que j’explore ce désert de glace avec vous ? Fort bien !
- Ah capitaine, vous m’en voyez ravi ! Reprit le commandeur. Vous serez chargé du pilotage du sous-marin et de vous assurer de la sécurité du professeur. Ca ne vous pose pas de problème ?
- Ca ne doit pas être bien compliqué de mener cette coquille de noix. J’en serai, ça m’amuse !
- Parfait !
Le commandeur déroula un autre plan représentant le sous-marin.
- Voici votre limousine capitaine. Quinze mètre de long, une surface habitable suffisante pour passer plusieurs mois confortablement. Le tout électrique garanti une autonomie importante. La propulsion utilise l’électrolyse de l’eau, ce qui génère également de l’oxygène. Pour le ravitaillement complémentaire, vous pourrez nous communiquer vos points d’émergence, pour qu’on vous envoie des avions ravitailleurs.
- C’est un beau bijou. Je sens que le voyage sera intéressant.
- Parfait capitaine ! Je suis heureux de vous voir emballé. Cela fait des années que je prépare ce voyage pour ses vertus ludiques et ce qu’il apportera à la connaissance. Vous mènerez la barque quand moi j’utiliserai les instruments scientifiques pour explorer et analyser. Je serai le cerveau, vous serez le bras.
- Ca me va parfaitement. (…) Quand est-ce qu’on part ?
Le colonel nous fit alors conduire dans une base marine dont l’emplacement ne nous fut pas communiqué. Nous embarquâmes à bord d’un cuirassé qui se mit en route vers le Nord.
Après quelques jours de voyage, je croisais le professeur sur le pont de ce Léviathan d’acier, alors que je faisais prendre l’air marin à Shââ.
- Ah, capitaine, voyez un peu tous ces icebergs. Nous approchons !
Il avait l’air d’un gamin excité.
- Vous n’avez pas l’air totalement à vos aises, cap’tain, le froid vous réussirait-il moins bien que le soleil iranien ?
- Pour tout vous dire, j’ai beau être explorateur, j’ai toujours un minimum de méfiance à l’égard de ce qui n’est pas moi. Ne m’en voulez pas si je suis un peu froid.
- Vous plaisantez ? J’adore ce qui est froid ! Nous devrions bien nous entendre.

Je jetai un regard vers les icebergs. Un nouveau désert attendait que j’y plante mon étendard triomphant. Nous étions alors en train de percer ses frontières. Alors que les marins s’apprêtaient à mettre à l’eau notre sous-marin, rebaptisé « Bathyscaphe » en l’honneur des pionniers de l’exploration abyssale, je songeais aux mystères que nous allions découvrir en-dessous.

Baptistisime

Aucun commentaire: