vendredi 29 mai 2009

Les affres de la spécialisation et du parasitisme



Me voici en train de déambuler dans les couloirs de Nausicaa, centre national de la mer, et je découvre une exposition de photos au sujet des abysses. On y trouve notamment des clichés de ces écosystèmes insolites qui se créent autours des « souffleurs noirs », ces rejets de sulfures chauffant l’eau à plus de 300° C. Le représentant le plus emblématique de la faune peuplant ces régions inhospitalières des fonds marins sont les vers sans bouches. Ils n’ont pas de bouche, pas de tube digestif, rien. Ils vivent au crochet de bactéries qu’ils hébergent et qui pratiquent la chimiosynthèse : création de matière organique à partir des éléments chimiques. Les vers hôtes subsistent de l’activité de ces bactéries. Ils vivent leur existence morne, sans vue ni stimuli d’aucune sorte, dépendant du bon vouloir de ces être qui vivent en eux. Ils ne font aucun effort, c’est une existence « facile ».
Voici le contenu de la pancarte :
« Riftia pachyptila Jones 1981

Ce grand vers tubicole n'a pas encore révélé tous ses secrets. Sans bouche ni tube digestif, il doit son exeptionnelle croissance aux bactéries qu'il abrite dans son corps et qu'il alimente en oxygène, sulfure et gaz carbonique via sa branchie et ses hémoglobines. Mais comment contrôle-t-il ces populations si actives ? »

Le problème, c’est que les souffleurs noirs ne sont qu’éphémères. Dès lors que la dorsale « déménage » sous l’effet de la tectonique des plaques, ils deviennent inactifs. Cela signifie une pénurie de sulfure et donc de la chimiosynthèse et donc la mort des vers immobiles et fixés fermement à la roche du fond de la mer. On imagine fort bien ce qui se passerait si les colonies de bactéries venaient à mourir pour une raison ou une autre. C’est peut être facile de vivre sous la dépendance d’autrui, mais l’on se retrouve bien démuni quand son bienfaiteur vous abandonne ou ne peut plus subvenir à vos besoins. Ce triste sort n’est pas exclusif à cette espèce. Les bourdons, les reines des fourmis, tous les parasites : beaucoup d’espèces du monde vivant ne peuvent vivre sans d’autres espèces qu’ils exploitent. Cette dépendance qui s’apparente à de la fainéantise à un prix : une vulnérabilité exacerbée. Et qu’on se le dise, être une huitre ou un vers sans bouche n’est ni la vie la plus intéressante, ni être la créature la plus intéressante. Aux vers et aux bivalves, je préfère largement le requin, grand voyageur aux sens exacerbés et à l’alimentation carnée variée.

On l’a vu, les vers meurent en masse quand les souffleurs s’éteignent. C’est le triste sort qui attend les poissons des marécages si leur point d’eau s’assèche. Ne pas pouvoir bouger, rester ancré, voilà la pire faiblesse face aux changements, et aux cataclysmes (qui sont une forme de changement, certes extrême, mais un simple changement).

L’immobilisme nait souvent de la sensation de se sentir protégé. Comme une huitre dans sa coquille, comme une tortue sous sa carapace. Mais aucune barrière n’est imperméable, et qu’arrive-t-il à une huitre donc un prédateur quelconque parvient à ouvrir la coquille ? Elle se fait gober aussi sec, sans aucune chance de pouvoir se défendre. La sécurité est souvent illusoire, et incite au relâchement. Et par là, hélas, bien souvent aux mauvaises surprises.

C’est surtout vrai pour de nombreuses espèces insulaires que l’évolution transforme en pygmée par manque de prédateurs. Ces espèces se reposent sous leurs lauriers et s’affranchissent de défenses naturelles, à en devenir débiles. L’éléphant nain de l’île truc muche grand comme un cygne, la rétine, heu rhytine de bidule lente et facile à pêcher, le pouissant dodo de Madagascar ou encore cette espèce d’oiseau insulaire détruite en une nuit par UN chat. Chat, animal respectable par sa nature adaptable, changeante, etc. Il est le nécessaire mouvement de la vie, fragile mais puissant car il n’a pas d’attache et peut explorer toutes les contrées de l’Egypte à la Norvège. L’immobilisme tue.



"Fais dodo !"


C’est marrant, quand j’étais gamin, mon livre de chevet était un ouvrage de vulgarisation sur les animaux préhistoriques. Combien d’espèces ont disparu parce qu’elles étaient trop spécialisées ?! Dans le descriptif d’unetell : la ligné s’est atteinte car, trop spécialisée, elle n’a pas su s’adapter aux changements du climat. Deuxtelle, trop spécialisée, ne s’est pas adaptée à la destruction de son habitat par l’homme. Troistelle était trop spécialisée, et n’a pas supporté la concurrence de quatretel.

On l’aura compris, faire une seule chose de manière quasi parfaite, c’est bien ! Enfin, tant que cette chose en question permet de vivre. Le revers de la spécialisation, c’est qu’en dehors du domaine de spécialité, c’est le désert, l’impuissance. Retirer ce domaine de spécialisation, et il ne reste plus rien.
Le caméléon, voilà ce qu’on devrait tous être, ou un transformiste capable de changer de costumes en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Polyvalence. Adaptabilité. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, même si on est sûr de son coup. A titre personnel, je ris jaune d’un souvenir de sacoche oubliée (et donc manquante par la suite) comprenant mes clefs d’appartement, de voiture, mon portefeuille, mes papiers…

L’exclusivisme a cela de confortable qu’il demande une attention moindre, moins de mémoire, moins de concentration. Avec ma sacoche magique, je sais toujours où sont mes clefs. Je n’ai pas besoin de faire toute mes poches pour les retrouver quand je suis devant ma porte d’entrée. Le revers, on vient de le voir.

Je parle de mes papiers, mais c’est partout pareil ! C’est comme avec mon répertoire téléphonique. J’en ai des tonnes : un répertoire papier, celui sur mon téléphone portable, encore un sur ma messagerie électronique, encore un sur un site de socialisation… Au moins quand j’ai égaré mon téléphone, je n’avais pas tout perdu. On peut faire la même remarque avec les sauvegardes de données informatiques…les disques durs ça s’efface, et parfois sans que cela soit voulu. Alors soit, c’est pénible de tout morceler. On ne sait jamais où trouver ce que l’on cherche. On passe des heures à tout remuer pour mettre la main sur le bon élément au bon moment (et encore, c’est si l’on ne procède pas à un minimum de rigueur et d’organisation). Il faut en permanence se dire ce que l’on a, où, etc. c’est une gymnastique intellectuelle et logistique nécessaire.

En un mot comme en cent, se résumer à une seule identité, un seul visage, est une chose à éviter. Rappelons-nous qui nous sommes. Rappelons-nous que nous avons plusieurs masques, plusieurs cordes à notre arc. Ne soyons pas un ver sans bouche, soyons des prédateurs agiles et plurivalents. Ayons la fierté et l’orgueil d’être des animaux évolués et complexes.

Doc G, Lille-Boulogne, le 24/05/2009

samedi 23 mai 2009

L’odyssée du bathyscaphe, épisode six: Les mouettes





Ainsi au septième jour avions-nous quitté le labyrinthe, ce piège insidieux que nous avait tendu cette banquise que nous cherchions à défier. Et de nouveaux dangers attendaient bien de nous prendre dans leurs filets. Nous n’allions pas tarder à l’apprendre. Attiré tel une phalène par le peu de lumière solaire qui perçait par l’épais manteau de glace, le bathyscaphe s’approcha le plus possible de la surface de l’océan. Cela me soulagea un instant de voir le monde par mes yeux, et non par l’artificiel projecteur de notre prison ronronnante. L’océan reprit sa couleur turquoise et en sembla instantanément moins glacial. Il me remémora même les menthes à l’eau que je dégustais par ces belles après-midi d’été alors que je n’étais qu’enfant. J’élevai le regard. Alors que je cherchais ce soleil qui nous avait tant manqué, ma curiosité fut captée par une dizaine de silhouettes noires et presque fantomatiques. Elles effectuaient inlassablement des rondes régulières et concentriques, visiblement juste au-dessus de nous.
- Hey doc’ ! , m’apostropha le capitaine B, Voyez-vous ça ! L’annonce de notre mort n’est pas tombée dans l’oreille de sourds, les vautours sont déjà là à se disputer notre charogne !
Il se mit à rire bruyamment, comme pour se réjouir une fois encore de notre survie miraculée et célébrer notre réussite.
- Bien d’accord avec vous, capitaine. Navrés de les décevoir, la cuvée attendra. Je suis tout de même bien étonné de rencontrer des oiseaux par ces latitudes. Je pensais que seules les sternes arctiques s’aventuraient aussi près du nord du monde. Mais ces animaux sont trop gros pour être des sternes.
- Voilà qui est consternant ! Bien monsieur le professeur, vous savez ce qu’il vous reste à faire !
- Oh, soyez en sûr, capitaine.
Je me levai de la banquette où Shââ était lui aussi paisiblement installé, pour me saisir du périscope à infrarouges. Je fixai longuement ces oiseaux de malheur et réglai l’instrument avant d’avoir un visuel satisfaisant. Lorsque ce fut le cas, un gémissement m’échappa. Des mouettes ! Des mouettes rieuses qui émettaient sûrement leur cri si célèbre à chacun de leur ouverture de bec intempestive. Que pouvaient-elles bien faire ici ? Par quel prodige planaient-elles au-dessus de l’océan arctique… au-dessus de nous ? Si j’avais été Christophe Colomb, je me serais réjoui de la vision de ces oiseaux côtiers. Je me contentais, moi, de ne pas savoir quoi en penser. Divers hypothèses savantes plus ou moins cohérentes se bousculèrent anarchiquement dans mon esprit.
B. s’amusa de mon air hagard, puis le silence se fit dans le bateau. Puis le silence se fit pesant dans le bateau. Les mouettes nous suivirent de nombreuses minutes, avant qu’une des leurs, plus téméraire que les autres, ne piqua vers nous. Elle fut rapidement imitée par de ses comparses. Agacé, B. prit la mouche.
- Ah, ces mouettes ! Elles rient à gésiers déployés, elles doivent prendre le sous-marin pour un gros, un très gros poisson. Moi j’vous l’dis, doc’, qu’elles en profitent ! Parce qu’elles riront moins quand je serai sorti ; et qu’en file indienne elles rôtiront autours de la pique où je les mettrai. Ca pour sûr, elles feront une belle brochette, j’en salive déjà !
Sur ce, il proféra quelques jurons de rigueur, puis de dépit, frappa la barre de son pied. D’abord amusé de la moue que je devinai sur son visage après l’impact ; je songeai, évasif, à son rêve de gastronomie volaillère. J’en avais moins même plus que ma ration de poissons, ce pain de la mer, cet animal à sang froid aux chairs flasques dissimulées sous une armure d’écailles. Un peu comme notre bathyscaphe, il est vrai. A se demander pourquoi ces mouettes qui nous narguent en ont fait leur met exclusif. Ma rêverie affamée quitta alors nos compagnons à écailles.
Ah ! Les mouettes. Que j’aurais aimé me réchauffer de leur viande à sang chaud. Que j’aurais aimé promener mes mains flétries par le gel dans leur plumage chaleureux. Que j’aurais aimé que leurs cris stridents eussent traversé la banquise, l’océan et la coque pour tromper le silence qui régnait en véritable maître sur le bathyscaphe.
Cependant, je ne pus m’empêcher de croire que le capitaine avait tort. Ces graciles volatiles étaient bien plus que des proies. Eprises de liberté, les pêcheuses se riaient des courants d’air frais, de la mer de glace et de la banquise impénétrable. Elles survolaient.
Les voir s’ébattre avec légèreté et tutoyer Apollon me rappela douloureusement nos propres difficultés à évoluer dans un milieu plus contraignant. Peut-être devrais-je voir leur liberté comme un cap, me dis-je, plutôt que laisser mon estomac nourrir mon monologue intérieur.
Derrière le miroir de la banquise, le hublot du bathyscaphe déformait l’apparence de nos agresseurs. Ces oiseaux, par ailleurs pas plus gros que des poules, paraissaient gigantesques. A tel point que même leurs sourires moqueurs en étaient presqu’intimidants. A contrario, pensé-je, de l’autre coté du miroir, notre sous-marin devait sembler d’autant plus grotesque. Avant de me rectifier bien vite : leur prêter un tel jugement serait bien trop les humaniser, elles qui ont un cerveau d’oiseau. Sûrement ne nous distinguaient-elles même pas à travers les vitres du bathyscaphe.
Ce fut Shââ qui me tira de ma réflexion. Le petit félin, visiblement intrigué par les volantes, se plaqua au sol, ventre à terre, la queue virevoltant de droite et de gauche, avant de bondir vivement en direction de ses proies. Bien entendu, le hublot refusa fermement que son bond n’aboutisse à quoi que ce soit. Le chat retomba sur ses pattes, avant de fuir par quelques pas affolés et se lécher la patte comme ceux de son espèce ont l’habitude de le faire quand ils veulent se faire oublier. Cela n’empêcha nullement B. et moi-même de rire de bon cœur aux exploits de ce si vif chasseur.
- Au moins, il aura essayé, lui ! , s’écria le navigateur entre deux gloussements. Je reconnais que même à la surface, même avec ma meilleure carabine, ce serait pas évident de leur caler un plomb dans le cul. Voyez comme elles virevoltent, ces garces ! J’ai jamais vu des piaffes voler de façon si erratique.
- Je ne suis pas ornithologue, mais je suis d’accord avec vous. La chasse serait plus aisée si leur comportement n’était pas si…illogique. Je marquai une pause. Heureusement ! Nous ne sommes pas ici pour jouer au balltrap et tirer du gibier, mais pour atteindre le pôle. Vous vous souvenez ?
Le navigateur me répondit en étouffant son amertume.
- Mouais, vous avez raison. Ce ne sont pas ces maudites bécasses qui vont nous détourner de notre vrai cap ! Allez ! A vos compas, doc’ ! Le pôle nous attend, pleine vapeur !!
J’applaudis son enthousiasme retrouvé, puis je détournai mon attention des cieux pour les eaux sombres vers lesquelles nous filions droit. Que nous réservent ces profondeurs abyssales ? Quels mystères devront-nous éclaircir avant d’atteindre notre destination ? Quelles nouvelles découvertes nous attendent au-delà de l’obscurité ? L’épopée continue…

Docteur G. , Lille, le 28/09/2008

samedi 16 mai 2009

L’odyssée du bathyscaphe, épisode cinq: Les labyrinthes





Le début de la traversée fut une croisière. Un MP3 sur les oreilles, je surveillais nuits et jours les écrans de contrôle des sondes pour la recherche de poches d’hydrocarbure, mais aussi les hublots. Ils étaient une fenêtre ouverte sur le monde maritime plus parlante et plus directe que les instruments de mesure. Au moins pouvais-je voir les poissons par mes propres yeux… à une vitre près. Deux, en considérant mes lunettes de myope.
Le confort était inversement proportionnel à l’intérêt scientifique de ces premiers jours. Nous avions beau savoir que le manque de surprises venait du fait que nous n’étions pas encore assez loin, l’enthousiasme du début était vite redescendu, au profit d’une routine qui s’installait. Et cela pour la plus grande fureur du capitaine qui déversait dans la cabine son lot de jurons quotidiens. « L’ennui est plus difficile à briser que la glace », répétait-il à l’envie. Il allait bientôt déchanter.
Entre 48 et 72 heures après notre premier ravitaillement, nous avions pénétré dans une zone où la banquise se fit plus épaisse. Plutôt que de passer dessous, le capitaine prit (assez autoritairement et unilatéralement) la décision d’emprunter ce qui lui semblait une galerie traversant la glace. Si les phoques en étaient capables, pourquoi pas nous ? Et ainsi, nous étions censés voir plus de chose, si on ne perdait pas de temps bêtement à contourner des obstacles « aussi simples ». Sic.
Après avoir cheminé le long du tunnel, à peine assez large pour nous accueillir, nous rencontrâmes un cul de sac. Le tunnel devenait bien plus étroit, et même si Shââ disposait d’un scaphandre, il aurait du mal à s’y infiltré. Le capitaine pesta contre l’absence de « vraie fonctionnalité de marche arrière ». Il coupa les moteurs et le sous-marin se retrouva immobilisé. Il paru effondré.
- C’est de ma faute, je n’aurais pas du prendre autant de risque.
- Ne vous en faite pas capitaine, la navigation est plus difficile que vous ne vouliez l’admettre, et la banquise un adversaire plus coriace que vous ne l’imaginiez. Ce n’est pas vous qui êtes à blâmer, mais les obstacles qui sont conséquents. Croyez-moi.
- J’aimerais faire preuve d’autant d’indulgence à mon égard que vous. Mais ce n’est guère évident, je suis exigeant envers moi-même, perfectionniste, et l’échec m’insupporte ! Surtout que celui-ci va peut être scellé notre sort !
- Ne paniquons pas, ne paniquons pas !
Dans le sous-marin, malgré tous nos efforts, l’ambiance tourna vite au vinaigre. La colère déjà prompte du capitaine était fréquemment ravivée par les miaulements agaçants de Shââ, qui ne comprenait pas notre agitation. Moi-même n’arrivais pas à aligner deux idées, dérangé par le bruit, par l’air confiné qui commençait à se charger en dioxyde de carbone et en phéromones de stress, et par l’enjeu de ce nouveau puzzle : s’en sortir, ou mourir prisonnier d’un glaçon géant.
Alors que ma pensée devenait vraiment circulaire et ne menait nulle part, tout comme le chemin que nous avions emprunté, le capitaine bouillonnant et survolté décida une nouvelle fois de prendre les choses en mains. A sa façon, à savoir impulsivement. Il mena le bathyscaphe droit devant, dans le mur ! (…) L’affolement fit vit place à la surprise. Au lieu de nous encastrer dans le mur, nous passâmes à travers ! Je vis la glace se briser par à coup. Elle présentait visiblement des fragilités, des zones moins épaisses qui cédaient peu à peu du terrain. Le capitaine le comprit vite et fit imprimer au bathyscaphe des mouvements de bélier. Nous finîmes par traverser, et atterrir dans un nouveau tunnel assez semblable au précédant.
- Haha ! Et voilà le travail ! Bien doc, où allons-nous maintenant ? Une chance sur deux !
- Hum, c’est difficile à dire. Nous devrions retrouver ce genre de faille. Je vais utiliser l’analyseur thermique et l’échoradar pour déterminer où la glace est plus fine.
- Bien à vous.
Après consultation des données je lui indiquais une direction.
- Vous êtes sûr ? Nous ne pourrons pas faire marche arrière, je vous rappelle.
- Certain ! Poursuivez à droite, puis je vous indiquerai quand braquer à gauche, la glace y formera un mince voile. Vous allez devoir me faire confiance.
- Grr ! Je déteste qu’on me pilote et dépendre d’autrui.
- Chut, laissez-moi me concentrer ! (…) Voilà, nous nous approchons, parcourez encore six mètres… (…) Allez-y maintenant !
- C’est parti !!
Je le vis jouer énergiquement avec la barre. Le sous-marin se braqua brusquement à 90° et perça la « porte » glacée avant de débouler dans un nouveau tunnel.
- Ah, c’est pas possible ! C’est un vrai labyrinthe !
- Oui, et un labyrinthe où il est interdit de rebrousser chemin pour l’explorer. Mais il n’y a aucune raison que la méthode qui a déjà fonctionné ne marche plus à l’avenir. Conduisez doucement, ce sera long mais pas difficile. Une simple histoire de patience.
- Je n’en dispose malheureusement pas à profusion !
- Dites-vous que si vous ne me laissez pas me concentrer, nous allons finir bloqués. Gardez vos forces pour les manœuvres et les passages en force.
- Mouais, vous avez raison, chacun à son poste. (…) Nous n’avons peut être rien à gagner ici, mais au moins c’est divertissant ! Enfin un peu d’exercice !
S’engagea alors une longue résolution de puzzle pour nous extirper de ce piège de cristal. Je luttais avec mon angoisse de l’erreur stupide, avec l’envie d’aller (trop) vite du capitaine et avec Shââ qui venait se frotter à moi où passer entre les écrans et mon nez en ronronnant bruyamment. Les tunnels suivant étaient bien plus longs, et nous passions une porte environ toutes les 24 heures. Entre temps, nous envoyions des appels de détresse, nous dormions peu de peur de rater une brèche, et nous regardions nos barbes pousser et nos cernes sous les yeux se dessiner.
Quand nous passâmes la huitième porte (en comptant celles de la première journée), nous réalisâmes que cela faisait six jours que nous étions dans le labyrinthe. Le capitaine commençait à désespérer et à ressasser que nos ressources arrivaient à échéance.
- Voyons capitaine, la situation est préoccupante, il est vrai, mais nous nous approchons. A chaque porte l’échoradar nous indique une épaisseur sus-jacente de glace plus faible. Nous nous dirigeons vers la surface !
- Où allons-nous ?! Où allons-nous ?!
Je le sentais en sueur et délirant. Il avait fort peu dormi et avait tari les stocks de café pour ne pas s’assoupir. Il était très nerveux, à tel point que son stress en était presque contagieux, et qu’on sentait le sous-marin trembler de concert avec ses muscles encaféinés. Aussi, il exulta quand je lui appris que la neuvième porte se situait à seulement quelques mètres de la surface, et peut être moins du fait de l’imprécision potentiel des capteurs !
La dernière « porte » brisée nous fit effectivement parvenir à la surface. Ce minuscule affleurement de l’océan nous permit d’aérer le sous-marin et de nous-mêmes nous évader après une longue semaine de captivité. La capitaine et moi nous étirâmes en baillant pour remplir nos poumons d’air frais. Shââ sortit également se dégourdir les pattes, moyennant quelques glissades sur la surface verglacée.
C’était plaisant de ne plus se sentir prisonnier, même si à aucun moment nos vies n’ont été réellement menacées. Le vent qui nous balayait sans ménagement nous semblait presque nous avoir manqué. Quant à revoir le soleil en face et en direct, cela nous paru un véritable régal.
- Je tenais à vous féliciter, docteur. Et profitez-en, cela ne m’arrive pas souvent !
- Et bien… merci !
- Nous avons fait une bonne équipe tous les deux. Je ne pensais pas que vous feriez face à l’imprévu avec tant de ressources.
- Oui, je reconnais que je préfère quand les choses sont calées à l’avance… Mais peu importe, nous nous en sommes sortis, c’est le principal !
Un hydravion alerté par nos appels au secours incessants vint se poser quelques minutes après notre apparition. Il nous réapprovisionna en nourriture et en eau potable. Le pilote nous félicita pour notre ténacité et notre abnégation avant de nous souhaiter bonne chance.
Après que l’avion eût décollé, les miaulements de Shââ attirèrent notre attention vers un phoque rampant sur la banquise à une vingtaine de mètre de là. Je fus fasciné par ce mammifère massif si court sur pattes, si pataud et pourtant si souriant sous ses moustaches. Après avoir pris quelques photos, je songeais à m’approcher pour consacrer davantage de temps à l’étude de l’animal, quand il fut abattu d’un coup de révolver en pleine tête. Shââ sursauta, le phoque s’effondrât.
- Pas de temps à perdre.
- Capitaine, vous exagérez, dis-je sur le ton de la réprimande moqueuse. Il avait une tête sympathique.
- Si sa tête vous revient, je vous la laisserai. A table. Vous verrez, cette bête sera encore plus sympa dans nos assiettes. Aidez-moi à charger la carcasse à bord. Je la dépècerai plus tard.
- Ainsi soit-il, capitaine. Reprenons notre route, maintenant que la voie est libre.
Après avoir installé l’infortuné phocidé dans son nouveau cercueil frigorifique, nous étions ainsi sur le départ. Quels dangers pires que les labyrinthes nous guettaient-ils ?


Doc G. Lille, le 30/04/2009

jeudi 7 mai 2009

Les vaches




Allongées dans les prés sont les donneuses de lait,
Sur l’herbe, dégustant avec délice le foin
Préparé par un agronome avec soin.
Elles regardent les trains, font la sieste et sont en paix.


On les dorlote comme des princesses des pâturages.
Elles reçoivent vaccins et antibios pour survivre
Avec pour seule mission celle de bien se nourrir,
Ignorant, malheureuses, que ceci n’est qu’engraissage.


Autant leur vie fut paisible, leur fin n’est pas drôle.
Elles finiront coupées en tranches comme une pastèque
Dans nos assiettes sous la forme d’un juteux steak.


A l’inverse d’elles, ne passons pas à la casserole.
Les hommes ne sont du bétail et vivent centenaire.
Alors du nerf, et joyeux cinquantième anniversaire !

Baptistisime

dimanche 3 mai 2009

L’odyssée du bathyscaphe, épisode quatre: Les Ours :




Nous parvînmes finalement au bord de la banquise. Le cuirassé jeta l’ancre à proximité de cette côte d’un genre particulier. Le commandeur, le capitaine et moi-même prîmes une chaloupe pour aller nous dégourdir les jambes sur ce continent gelé.

Nous eûmes alors l’agréable surprise d’apercevoir trois ours polaires, Ursus maritimus, à une centaine de mètres, visiblement occupés à pécher le phoque.
Le capitaine se fit amener un fusil, et mit l’un de ces plantigrades en joue.
Le capitaine n’était pas du genre frileux. Nous portions tous d’épais manteaux pour nous protéger des températures fortement négatives, lui se contentait d’une vulgaire écharpe et d’une paire de gants légers. Visiblement juste là pour que ses doigts ne s’engourdissent pas et qu’il puisse se servir de son instrument de mort de façon normale. Sinon, il arborait son costume habituel, un uniforme rouge sur mesure bien ajusté qui mettait en évidence ces larges épaules et sa grande taille. A droite de sa ceinture, il portait une fine épée, sûrement plus pour l’apparat qu’autre chose, et à sa gauche, un révolver engainé. Peut-être rêvait-il de devenir académicien. Ne serait-ce que pour se faire appeler « immortel ». Le capitaine ne souriait jamais, entretenant visiblement volontairement un regard de félin effarouché et une barbe de trois jours. Un vrai bad boy d’opérette pensé-je.

- A quoi bon le tuer ? Lui fis-je remarquer.
- Je suis en manque de sang. Je suis un militaire qui a été sevré de batailles et de meurtres. Je vais finir par perdre la main si ça continue !
- Oui, mais pourquoi blesser cet animal en voie de disparition ? Les ours blancs et amicaux se font rares de nos jours, et se reproduisent lentement. Ils sont précieux. Si c’est le geste et le sport qui vous excitent, pourquoi ne pas lui envoyer une fléchette somnifère ? Nous en profiterons pour effectuer tous les tests zoologiques de rigueur : mesures, pesée, prise de sang, injection d’une puce électronique. La recherche française vous en sera reconnaissante.
- Ah ? Bien, si ça peut vous faire plaisir.

Le militaire baissa son arme, puis la chargea avec la munition d’un nouveau type que je lui présentais. Les militaires sont faciles à convaincre, employer « France » et « reconnaissance » dans la même phrase, et le tout est joué. La fierté du capitaine est sûrement son talon d’Achille tant elle le rend prévisible.
Ce n’est cependant pas ce changement d’arme qui déstabilisa le tireur. La première détonation fut la bonne. Une mouche tsé-tsé vint piquer un des grands blancs qui piqua de la truffe quelques instants plus tard. Je m’approchai alors pour mettre mes menaces à exécution.

- Hum, c’est grâce à leur fourrure et à leur graisse qu’ils sont si à l’aise ici. Nous n’avons pas ça, nous, explorateurs.
- Mais cessez donc de miauler, doc ! Nous avons notre boîte de conserve high-tech. Ca compense. Enfin non. Ca compensera.
- Je l’espère, capitaine je l’espère.
- Je vous préviens d’ors et déjà : interdiction formelle d’avoir froid aux yeux avec moi ! J’ai barroudé sur toute la planète, c’est pas pour avoir des frissons maintenant.
- Soyez rassuré, j’ai bien trop attendu ce moment pour laisser mon appréhension avoir le dessus. Mais vous savez, je suis un scientifique, allergique de nature à l’imprévu et aux incertitudes.
- N’y pensez pas encore, aux petites pannes ! A cœur vaillant, rien d’impossible.
Le marin interrompit alors notre dialogue.
- Voilà la mentalité qui me plait, capitaine ! Vous allez voyager en conquérants tous autant que vous êtes. Rappelez-vous que l’objectif n’est pas de vous précipiter au pôle. Flânez, découvrez, prenez le temps nécessaire. Ramenez-nous des infos, des vraies, pas des brouillons. Je suis certain que ce voyage vous sera enrichissant à titre personnel. (…) Allez, mes amis ! Votre embarcation est prête, et le Grand Nord vous attend. Soyez brillants et réfléchis.
- Comme la glace, marmonna la capitaine en saluant au garde à vous son supérieur.

Nous embarquâmes à bord du bathyscaphe quelques instants plus tard, après avoir avalé une dernière bouffée d’air frais, et même plus que frais. Au moins à l’intérieur nous pûmes nous défaire de nos lourds anoraks, gants et écharpes, et respirer un air à température ambiante.

L’intérieur du sous-marin était spacieux et de nombreux hublots laissaient pénétrer la lumière provenant de l’océan. Les reflets bleu turquoise inondaient la pièce centrale, reproduisant l’atmosphère féérique que l’on trouve dans les grands aquariums. Une table pour manger, une cuisine, la cabine de pilotage, des chaises et des banquettes, les instruments de mesure scientifiques : la majorité de l’équipement et des facilités de vie quotidienne se trouvent ici.

- Nous allons partager cet espace un moment, dis-je alors au capitaine.
- Ouais. J’vous cacherai pas que j’ai plus l’habitude de travailler en solo. Mais vous me dérangez pas (…) Tant que vous me touchez pas, ça ira entre nous !
Sur ce, il éclata de rire et mit les machines en marche.
- Ca, il n’y a pas de danger ! Et voilà le voyage qui commence !

J’étais excité comme un gosse en voyant les marins nous saluer depuis la banquise, sentant les moteurs vrombir, la tôle se mettre brusquement en mouvement, mais également le sol imaginaire de la surface de la mer se dérober sous nos pieds.
Le capitaine se laissa glisser, suivant les consignes des radars et des cartes pour trouver sans heurts un passage sous l’épaisse enveloppe de glace.
Alors que nous faisions route en avant à faible allure, les ours suivirent le navire tels des dauphins d’un autre genre. Ils dansaient élégamment devant nos humbles, faisant le show sans inquiétude. Pirouettes, vrilles, roulades, sprints, toute la gamme des cabrioles fut jouée sous nos yeux.

Ces gros carnivores semblables à des peluches ne laissaient pas le petit chat du capitaine indifférent. Perché sur une table, faisant face à un hublot, le chaton observait, donnait des coups de patte curieux contre la vitre, faisait parfois le gros dos ou crachait quand les ursidés lui accordait de l’attention.

- Shââ, arrête ça, tu veux ! Tu me fatigue.
- Il se prénomme chat ? C’est un peu banal.
- Non, pas ça, pas chat, Shââ !
- Ah, comme le roi perse ?
- Ouais, un peu comme ça.
- D’ailleurs, c’est un persan ?
- Bah non, c’est un européen, ça se voit.
- Vous êtes ironique ?
- Bien sûr que non ! C’est vous le zoologue, nan ? Européen, c’est une race de chat. Le mien est un iranien, c’est vrai, mais pas un persan !
- Ah, très bien capitaine. Ne vous fâchez pas.
- Je ne me fâche jamais ! Ca ne sert à rien. Ca m’arrive de piquer des colères, c’est vrai, mais ce n’est pas exactement la même chose. Mais laissez-moi vous raconter l’histoire de cette boule de poil. Ca passera le temps.

C’est ainsi que notre voyage sous la banquise débuta autours de récits pour nous connaître mieux, nous, les trois explorateurs embarqués sur le bathyscaphe, Shââ, capitaine B et doc G. Nous étions tous dans la même galère. Quelles bonnes surprises ce voyage allait-il nous réserver ?

Docteur G.