dimanche 3 mai 2009

L’odyssée du bathyscaphe, épisode quatre: Les Ours :




Nous parvînmes finalement au bord de la banquise. Le cuirassé jeta l’ancre à proximité de cette côte d’un genre particulier. Le commandeur, le capitaine et moi-même prîmes une chaloupe pour aller nous dégourdir les jambes sur ce continent gelé.

Nous eûmes alors l’agréable surprise d’apercevoir trois ours polaires, Ursus maritimus, à une centaine de mètres, visiblement occupés à pécher le phoque.
Le capitaine se fit amener un fusil, et mit l’un de ces plantigrades en joue.
Le capitaine n’était pas du genre frileux. Nous portions tous d’épais manteaux pour nous protéger des températures fortement négatives, lui se contentait d’une vulgaire écharpe et d’une paire de gants légers. Visiblement juste là pour que ses doigts ne s’engourdissent pas et qu’il puisse se servir de son instrument de mort de façon normale. Sinon, il arborait son costume habituel, un uniforme rouge sur mesure bien ajusté qui mettait en évidence ces larges épaules et sa grande taille. A droite de sa ceinture, il portait une fine épée, sûrement plus pour l’apparat qu’autre chose, et à sa gauche, un révolver engainé. Peut-être rêvait-il de devenir académicien. Ne serait-ce que pour se faire appeler « immortel ». Le capitaine ne souriait jamais, entretenant visiblement volontairement un regard de félin effarouché et une barbe de trois jours. Un vrai bad boy d’opérette pensé-je.

- A quoi bon le tuer ? Lui fis-je remarquer.
- Je suis en manque de sang. Je suis un militaire qui a été sevré de batailles et de meurtres. Je vais finir par perdre la main si ça continue !
- Oui, mais pourquoi blesser cet animal en voie de disparition ? Les ours blancs et amicaux se font rares de nos jours, et se reproduisent lentement. Ils sont précieux. Si c’est le geste et le sport qui vous excitent, pourquoi ne pas lui envoyer une fléchette somnifère ? Nous en profiterons pour effectuer tous les tests zoologiques de rigueur : mesures, pesée, prise de sang, injection d’une puce électronique. La recherche française vous en sera reconnaissante.
- Ah ? Bien, si ça peut vous faire plaisir.

Le militaire baissa son arme, puis la chargea avec la munition d’un nouveau type que je lui présentais. Les militaires sont faciles à convaincre, employer « France » et « reconnaissance » dans la même phrase, et le tout est joué. La fierté du capitaine est sûrement son talon d’Achille tant elle le rend prévisible.
Ce n’est cependant pas ce changement d’arme qui déstabilisa le tireur. La première détonation fut la bonne. Une mouche tsé-tsé vint piquer un des grands blancs qui piqua de la truffe quelques instants plus tard. Je m’approchai alors pour mettre mes menaces à exécution.

- Hum, c’est grâce à leur fourrure et à leur graisse qu’ils sont si à l’aise ici. Nous n’avons pas ça, nous, explorateurs.
- Mais cessez donc de miauler, doc ! Nous avons notre boîte de conserve high-tech. Ca compense. Enfin non. Ca compensera.
- Je l’espère, capitaine je l’espère.
- Je vous préviens d’ors et déjà : interdiction formelle d’avoir froid aux yeux avec moi ! J’ai barroudé sur toute la planète, c’est pas pour avoir des frissons maintenant.
- Soyez rassuré, j’ai bien trop attendu ce moment pour laisser mon appréhension avoir le dessus. Mais vous savez, je suis un scientifique, allergique de nature à l’imprévu et aux incertitudes.
- N’y pensez pas encore, aux petites pannes ! A cœur vaillant, rien d’impossible.
Le marin interrompit alors notre dialogue.
- Voilà la mentalité qui me plait, capitaine ! Vous allez voyager en conquérants tous autant que vous êtes. Rappelez-vous que l’objectif n’est pas de vous précipiter au pôle. Flânez, découvrez, prenez le temps nécessaire. Ramenez-nous des infos, des vraies, pas des brouillons. Je suis certain que ce voyage vous sera enrichissant à titre personnel. (…) Allez, mes amis ! Votre embarcation est prête, et le Grand Nord vous attend. Soyez brillants et réfléchis.
- Comme la glace, marmonna la capitaine en saluant au garde à vous son supérieur.

Nous embarquâmes à bord du bathyscaphe quelques instants plus tard, après avoir avalé une dernière bouffée d’air frais, et même plus que frais. Au moins à l’intérieur nous pûmes nous défaire de nos lourds anoraks, gants et écharpes, et respirer un air à température ambiante.

L’intérieur du sous-marin était spacieux et de nombreux hublots laissaient pénétrer la lumière provenant de l’océan. Les reflets bleu turquoise inondaient la pièce centrale, reproduisant l’atmosphère féérique que l’on trouve dans les grands aquariums. Une table pour manger, une cuisine, la cabine de pilotage, des chaises et des banquettes, les instruments de mesure scientifiques : la majorité de l’équipement et des facilités de vie quotidienne se trouvent ici.

- Nous allons partager cet espace un moment, dis-je alors au capitaine.
- Ouais. J’vous cacherai pas que j’ai plus l’habitude de travailler en solo. Mais vous me dérangez pas (…) Tant que vous me touchez pas, ça ira entre nous !
Sur ce, il éclata de rire et mit les machines en marche.
- Ca, il n’y a pas de danger ! Et voilà le voyage qui commence !

J’étais excité comme un gosse en voyant les marins nous saluer depuis la banquise, sentant les moteurs vrombir, la tôle se mettre brusquement en mouvement, mais également le sol imaginaire de la surface de la mer se dérober sous nos pieds.
Le capitaine se laissa glisser, suivant les consignes des radars et des cartes pour trouver sans heurts un passage sous l’épaisse enveloppe de glace.
Alors que nous faisions route en avant à faible allure, les ours suivirent le navire tels des dauphins d’un autre genre. Ils dansaient élégamment devant nos humbles, faisant le show sans inquiétude. Pirouettes, vrilles, roulades, sprints, toute la gamme des cabrioles fut jouée sous nos yeux.

Ces gros carnivores semblables à des peluches ne laissaient pas le petit chat du capitaine indifférent. Perché sur une table, faisant face à un hublot, le chaton observait, donnait des coups de patte curieux contre la vitre, faisait parfois le gros dos ou crachait quand les ursidés lui accordait de l’attention.

- Shââ, arrête ça, tu veux ! Tu me fatigue.
- Il se prénomme chat ? C’est un peu banal.
- Non, pas ça, pas chat, Shââ !
- Ah, comme le roi perse ?
- Ouais, un peu comme ça.
- D’ailleurs, c’est un persan ?
- Bah non, c’est un européen, ça se voit.
- Vous êtes ironique ?
- Bien sûr que non ! C’est vous le zoologue, nan ? Européen, c’est une race de chat. Le mien est un iranien, c’est vrai, mais pas un persan !
- Ah, très bien capitaine. Ne vous fâchez pas.
- Je ne me fâche jamais ! Ca ne sert à rien. Ca m’arrive de piquer des colères, c’est vrai, mais ce n’est pas exactement la même chose. Mais laissez-moi vous raconter l’histoire de cette boule de poil. Ca passera le temps.

C’est ainsi que notre voyage sous la banquise débuta autours de récits pour nous connaître mieux, nous, les trois explorateurs embarqués sur le bathyscaphe, Shââ, capitaine B et doc G. Nous étions tous dans la même galère. Quelles bonnes surprises ce voyage allait-il nous réserver ?

Docteur G.

Aucun commentaire: