vendredi 29 mai 2009

Les affres de la spécialisation et du parasitisme



Me voici en train de déambuler dans les couloirs de Nausicaa, centre national de la mer, et je découvre une exposition de photos au sujet des abysses. On y trouve notamment des clichés de ces écosystèmes insolites qui se créent autours des « souffleurs noirs », ces rejets de sulfures chauffant l’eau à plus de 300° C. Le représentant le plus emblématique de la faune peuplant ces régions inhospitalières des fonds marins sont les vers sans bouches. Ils n’ont pas de bouche, pas de tube digestif, rien. Ils vivent au crochet de bactéries qu’ils hébergent et qui pratiquent la chimiosynthèse : création de matière organique à partir des éléments chimiques. Les vers hôtes subsistent de l’activité de ces bactéries. Ils vivent leur existence morne, sans vue ni stimuli d’aucune sorte, dépendant du bon vouloir de ces être qui vivent en eux. Ils ne font aucun effort, c’est une existence « facile ».
Voici le contenu de la pancarte :
« Riftia pachyptila Jones 1981

Ce grand vers tubicole n'a pas encore révélé tous ses secrets. Sans bouche ni tube digestif, il doit son exeptionnelle croissance aux bactéries qu'il abrite dans son corps et qu'il alimente en oxygène, sulfure et gaz carbonique via sa branchie et ses hémoglobines. Mais comment contrôle-t-il ces populations si actives ? »

Le problème, c’est que les souffleurs noirs ne sont qu’éphémères. Dès lors que la dorsale « déménage » sous l’effet de la tectonique des plaques, ils deviennent inactifs. Cela signifie une pénurie de sulfure et donc de la chimiosynthèse et donc la mort des vers immobiles et fixés fermement à la roche du fond de la mer. On imagine fort bien ce qui se passerait si les colonies de bactéries venaient à mourir pour une raison ou une autre. C’est peut être facile de vivre sous la dépendance d’autrui, mais l’on se retrouve bien démuni quand son bienfaiteur vous abandonne ou ne peut plus subvenir à vos besoins. Ce triste sort n’est pas exclusif à cette espèce. Les bourdons, les reines des fourmis, tous les parasites : beaucoup d’espèces du monde vivant ne peuvent vivre sans d’autres espèces qu’ils exploitent. Cette dépendance qui s’apparente à de la fainéantise à un prix : une vulnérabilité exacerbée. Et qu’on se le dise, être une huitre ou un vers sans bouche n’est ni la vie la plus intéressante, ni être la créature la plus intéressante. Aux vers et aux bivalves, je préfère largement le requin, grand voyageur aux sens exacerbés et à l’alimentation carnée variée.

On l’a vu, les vers meurent en masse quand les souffleurs s’éteignent. C’est le triste sort qui attend les poissons des marécages si leur point d’eau s’assèche. Ne pas pouvoir bouger, rester ancré, voilà la pire faiblesse face aux changements, et aux cataclysmes (qui sont une forme de changement, certes extrême, mais un simple changement).

L’immobilisme nait souvent de la sensation de se sentir protégé. Comme une huitre dans sa coquille, comme une tortue sous sa carapace. Mais aucune barrière n’est imperméable, et qu’arrive-t-il à une huitre donc un prédateur quelconque parvient à ouvrir la coquille ? Elle se fait gober aussi sec, sans aucune chance de pouvoir se défendre. La sécurité est souvent illusoire, et incite au relâchement. Et par là, hélas, bien souvent aux mauvaises surprises.

C’est surtout vrai pour de nombreuses espèces insulaires que l’évolution transforme en pygmée par manque de prédateurs. Ces espèces se reposent sous leurs lauriers et s’affranchissent de défenses naturelles, à en devenir débiles. L’éléphant nain de l’île truc muche grand comme un cygne, la rétine, heu rhytine de bidule lente et facile à pêcher, le pouissant dodo de Madagascar ou encore cette espèce d’oiseau insulaire détruite en une nuit par UN chat. Chat, animal respectable par sa nature adaptable, changeante, etc. Il est le nécessaire mouvement de la vie, fragile mais puissant car il n’a pas d’attache et peut explorer toutes les contrées de l’Egypte à la Norvège. L’immobilisme tue.



"Fais dodo !"


C’est marrant, quand j’étais gamin, mon livre de chevet était un ouvrage de vulgarisation sur les animaux préhistoriques. Combien d’espèces ont disparu parce qu’elles étaient trop spécialisées ?! Dans le descriptif d’unetell : la ligné s’est atteinte car, trop spécialisée, elle n’a pas su s’adapter aux changements du climat. Deuxtelle, trop spécialisée, ne s’est pas adaptée à la destruction de son habitat par l’homme. Troistelle était trop spécialisée, et n’a pas supporté la concurrence de quatretel.

On l’aura compris, faire une seule chose de manière quasi parfaite, c’est bien ! Enfin, tant que cette chose en question permet de vivre. Le revers de la spécialisation, c’est qu’en dehors du domaine de spécialité, c’est le désert, l’impuissance. Retirer ce domaine de spécialisation, et il ne reste plus rien.
Le caméléon, voilà ce qu’on devrait tous être, ou un transformiste capable de changer de costumes en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Polyvalence. Adaptabilité. Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, même si on est sûr de son coup. A titre personnel, je ris jaune d’un souvenir de sacoche oubliée (et donc manquante par la suite) comprenant mes clefs d’appartement, de voiture, mon portefeuille, mes papiers…

L’exclusivisme a cela de confortable qu’il demande une attention moindre, moins de mémoire, moins de concentration. Avec ma sacoche magique, je sais toujours où sont mes clefs. Je n’ai pas besoin de faire toute mes poches pour les retrouver quand je suis devant ma porte d’entrée. Le revers, on vient de le voir.

Je parle de mes papiers, mais c’est partout pareil ! C’est comme avec mon répertoire téléphonique. J’en ai des tonnes : un répertoire papier, celui sur mon téléphone portable, encore un sur ma messagerie électronique, encore un sur un site de socialisation… Au moins quand j’ai égaré mon téléphone, je n’avais pas tout perdu. On peut faire la même remarque avec les sauvegardes de données informatiques…les disques durs ça s’efface, et parfois sans que cela soit voulu. Alors soit, c’est pénible de tout morceler. On ne sait jamais où trouver ce que l’on cherche. On passe des heures à tout remuer pour mettre la main sur le bon élément au bon moment (et encore, c’est si l’on ne procède pas à un minimum de rigueur et d’organisation). Il faut en permanence se dire ce que l’on a, où, etc. c’est une gymnastique intellectuelle et logistique nécessaire.

En un mot comme en cent, se résumer à une seule identité, un seul visage, est une chose à éviter. Rappelons-nous qui nous sommes. Rappelons-nous que nous avons plusieurs masques, plusieurs cordes à notre arc. Ne soyons pas un ver sans bouche, soyons des prédateurs agiles et plurivalents. Ayons la fierté et l’orgueil d’être des animaux évolués et complexes.

Doc G, Lille-Boulogne, le 24/05/2009

Aucun commentaire: