samedi 16 mai 2009

L’odyssée du bathyscaphe, épisode cinq: Les labyrinthes





Le début de la traversée fut une croisière. Un MP3 sur les oreilles, je surveillais nuits et jours les écrans de contrôle des sondes pour la recherche de poches d’hydrocarbure, mais aussi les hublots. Ils étaient une fenêtre ouverte sur le monde maritime plus parlante et plus directe que les instruments de mesure. Au moins pouvais-je voir les poissons par mes propres yeux… à une vitre près. Deux, en considérant mes lunettes de myope.
Le confort était inversement proportionnel à l’intérêt scientifique de ces premiers jours. Nous avions beau savoir que le manque de surprises venait du fait que nous n’étions pas encore assez loin, l’enthousiasme du début était vite redescendu, au profit d’une routine qui s’installait. Et cela pour la plus grande fureur du capitaine qui déversait dans la cabine son lot de jurons quotidiens. « L’ennui est plus difficile à briser que la glace », répétait-il à l’envie. Il allait bientôt déchanter.
Entre 48 et 72 heures après notre premier ravitaillement, nous avions pénétré dans une zone où la banquise se fit plus épaisse. Plutôt que de passer dessous, le capitaine prit (assez autoritairement et unilatéralement) la décision d’emprunter ce qui lui semblait une galerie traversant la glace. Si les phoques en étaient capables, pourquoi pas nous ? Et ainsi, nous étions censés voir plus de chose, si on ne perdait pas de temps bêtement à contourner des obstacles « aussi simples ». Sic.
Après avoir cheminé le long du tunnel, à peine assez large pour nous accueillir, nous rencontrâmes un cul de sac. Le tunnel devenait bien plus étroit, et même si Shââ disposait d’un scaphandre, il aurait du mal à s’y infiltré. Le capitaine pesta contre l’absence de « vraie fonctionnalité de marche arrière ». Il coupa les moteurs et le sous-marin se retrouva immobilisé. Il paru effondré.
- C’est de ma faute, je n’aurais pas du prendre autant de risque.
- Ne vous en faite pas capitaine, la navigation est plus difficile que vous ne vouliez l’admettre, et la banquise un adversaire plus coriace que vous ne l’imaginiez. Ce n’est pas vous qui êtes à blâmer, mais les obstacles qui sont conséquents. Croyez-moi.
- J’aimerais faire preuve d’autant d’indulgence à mon égard que vous. Mais ce n’est guère évident, je suis exigeant envers moi-même, perfectionniste, et l’échec m’insupporte ! Surtout que celui-ci va peut être scellé notre sort !
- Ne paniquons pas, ne paniquons pas !
Dans le sous-marin, malgré tous nos efforts, l’ambiance tourna vite au vinaigre. La colère déjà prompte du capitaine était fréquemment ravivée par les miaulements agaçants de Shââ, qui ne comprenait pas notre agitation. Moi-même n’arrivais pas à aligner deux idées, dérangé par le bruit, par l’air confiné qui commençait à se charger en dioxyde de carbone et en phéromones de stress, et par l’enjeu de ce nouveau puzzle : s’en sortir, ou mourir prisonnier d’un glaçon géant.
Alors que ma pensée devenait vraiment circulaire et ne menait nulle part, tout comme le chemin que nous avions emprunté, le capitaine bouillonnant et survolté décida une nouvelle fois de prendre les choses en mains. A sa façon, à savoir impulsivement. Il mena le bathyscaphe droit devant, dans le mur ! (…) L’affolement fit vit place à la surprise. Au lieu de nous encastrer dans le mur, nous passâmes à travers ! Je vis la glace se briser par à coup. Elle présentait visiblement des fragilités, des zones moins épaisses qui cédaient peu à peu du terrain. Le capitaine le comprit vite et fit imprimer au bathyscaphe des mouvements de bélier. Nous finîmes par traverser, et atterrir dans un nouveau tunnel assez semblable au précédant.
- Haha ! Et voilà le travail ! Bien doc, où allons-nous maintenant ? Une chance sur deux !
- Hum, c’est difficile à dire. Nous devrions retrouver ce genre de faille. Je vais utiliser l’analyseur thermique et l’échoradar pour déterminer où la glace est plus fine.
- Bien à vous.
Après consultation des données je lui indiquais une direction.
- Vous êtes sûr ? Nous ne pourrons pas faire marche arrière, je vous rappelle.
- Certain ! Poursuivez à droite, puis je vous indiquerai quand braquer à gauche, la glace y formera un mince voile. Vous allez devoir me faire confiance.
- Grr ! Je déteste qu’on me pilote et dépendre d’autrui.
- Chut, laissez-moi me concentrer ! (…) Voilà, nous nous approchons, parcourez encore six mètres… (…) Allez-y maintenant !
- C’est parti !!
Je le vis jouer énergiquement avec la barre. Le sous-marin se braqua brusquement à 90° et perça la « porte » glacée avant de débouler dans un nouveau tunnel.
- Ah, c’est pas possible ! C’est un vrai labyrinthe !
- Oui, et un labyrinthe où il est interdit de rebrousser chemin pour l’explorer. Mais il n’y a aucune raison que la méthode qui a déjà fonctionné ne marche plus à l’avenir. Conduisez doucement, ce sera long mais pas difficile. Une simple histoire de patience.
- Je n’en dispose malheureusement pas à profusion !
- Dites-vous que si vous ne me laissez pas me concentrer, nous allons finir bloqués. Gardez vos forces pour les manœuvres et les passages en force.
- Mouais, vous avez raison, chacun à son poste. (…) Nous n’avons peut être rien à gagner ici, mais au moins c’est divertissant ! Enfin un peu d’exercice !
S’engagea alors une longue résolution de puzzle pour nous extirper de ce piège de cristal. Je luttais avec mon angoisse de l’erreur stupide, avec l’envie d’aller (trop) vite du capitaine et avec Shââ qui venait se frotter à moi où passer entre les écrans et mon nez en ronronnant bruyamment. Les tunnels suivant étaient bien plus longs, et nous passions une porte environ toutes les 24 heures. Entre temps, nous envoyions des appels de détresse, nous dormions peu de peur de rater une brèche, et nous regardions nos barbes pousser et nos cernes sous les yeux se dessiner.
Quand nous passâmes la huitième porte (en comptant celles de la première journée), nous réalisâmes que cela faisait six jours que nous étions dans le labyrinthe. Le capitaine commençait à désespérer et à ressasser que nos ressources arrivaient à échéance.
- Voyons capitaine, la situation est préoccupante, il est vrai, mais nous nous approchons. A chaque porte l’échoradar nous indique une épaisseur sus-jacente de glace plus faible. Nous nous dirigeons vers la surface !
- Où allons-nous ?! Où allons-nous ?!
Je le sentais en sueur et délirant. Il avait fort peu dormi et avait tari les stocks de café pour ne pas s’assoupir. Il était très nerveux, à tel point que son stress en était presque contagieux, et qu’on sentait le sous-marin trembler de concert avec ses muscles encaféinés. Aussi, il exulta quand je lui appris que la neuvième porte se situait à seulement quelques mètres de la surface, et peut être moins du fait de l’imprécision potentiel des capteurs !
La dernière « porte » brisée nous fit effectivement parvenir à la surface. Ce minuscule affleurement de l’océan nous permit d’aérer le sous-marin et de nous-mêmes nous évader après une longue semaine de captivité. La capitaine et moi nous étirâmes en baillant pour remplir nos poumons d’air frais. Shââ sortit également se dégourdir les pattes, moyennant quelques glissades sur la surface verglacée.
C’était plaisant de ne plus se sentir prisonnier, même si à aucun moment nos vies n’ont été réellement menacées. Le vent qui nous balayait sans ménagement nous semblait presque nous avoir manqué. Quant à revoir le soleil en face et en direct, cela nous paru un véritable régal.
- Je tenais à vous féliciter, docteur. Et profitez-en, cela ne m’arrive pas souvent !
- Et bien… merci !
- Nous avons fait une bonne équipe tous les deux. Je ne pensais pas que vous feriez face à l’imprévu avec tant de ressources.
- Oui, je reconnais que je préfère quand les choses sont calées à l’avance… Mais peu importe, nous nous en sommes sortis, c’est le principal !
Un hydravion alerté par nos appels au secours incessants vint se poser quelques minutes après notre apparition. Il nous réapprovisionna en nourriture et en eau potable. Le pilote nous félicita pour notre ténacité et notre abnégation avant de nous souhaiter bonne chance.
Après que l’avion eût décollé, les miaulements de Shââ attirèrent notre attention vers un phoque rampant sur la banquise à une vingtaine de mètre de là. Je fus fasciné par ce mammifère massif si court sur pattes, si pataud et pourtant si souriant sous ses moustaches. Après avoir pris quelques photos, je songeais à m’approcher pour consacrer davantage de temps à l’étude de l’animal, quand il fut abattu d’un coup de révolver en pleine tête. Shââ sursauta, le phoque s’effondrât.
- Pas de temps à perdre.
- Capitaine, vous exagérez, dis-je sur le ton de la réprimande moqueuse. Il avait une tête sympathique.
- Si sa tête vous revient, je vous la laisserai. A table. Vous verrez, cette bête sera encore plus sympa dans nos assiettes. Aidez-moi à charger la carcasse à bord. Je la dépècerai plus tard.
- Ainsi soit-il, capitaine. Reprenons notre route, maintenant que la voie est libre.
Après avoir installé l’infortuné phocidé dans son nouveau cercueil frigorifique, nous étions ainsi sur le départ. Quels dangers pires que les labyrinthes nous guettaient-ils ?


Doc G. Lille, le 30/04/2009

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