samedi 23 mai 2009

L’odyssée du bathyscaphe, épisode six: Les mouettes





Ainsi au septième jour avions-nous quitté le labyrinthe, ce piège insidieux que nous avait tendu cette banquise que nous cherchions à défier. Et de nouveaux dangers attendaient bien de nous prendre dans leurs filets. Nous n’allions pas tarder à l’apprendre. Attiré tel une phalène par le peu de lumière solaire qui perçait par l’épais manteau de glace, le bathyscaphe s’approcha le plus possible de la surface de l’océan. Cela me soulagea un instant de voir le monde par mes yeux, et non par l’artificiel projecteur de notre prison ronronnante. L’océan reprit sa couleur turquoise et en sembla instantanément moins glacial. Il me remémora même les menthes à l’eau que je dégustais par ces belles après-midi d’été alors que je n’étais qu’enfant. J’élevai le regard. Alors que je cherchais ce soleil qui nous avait tant manqué, ma curiosité fut captée par une dizaine de silhouettes noires et presque fantomatiques. Elles effectuaient inlassablement des rondes régulières et concentriques, visiblement juste au-dessus de nous.
- Hey doc’ ! , m’apostropha le capitaine B, Voyez-vous ça ! L’annonce de notre mort n’est pas tombée dans l’oreille de sourds, les vautours sont déjà là à se disputer notre charogne !
Il se mit à rire bruyamment, comme pour se réjouir une fois encore de notre survie miraculée et célébrer notre réussite.
- Bien d’accord avec vous, capitaine. Navrés de les décevoir, la cuvée attendra. Je suis tout de même bien étonné de rencontrer des oiseaux par ces latitudes. Je pensais que seules les sternes arctiques s’aventuraient aussi près du nord du monde. Mais ces animaux sont trop gros pour être des sternes.
- Voilà qui est consternant ! Bien monsieur le professeur, vous savez ce qu’il vous reste à faire !
- Oh, soyez en sûr, capitaine.
Je me levai de la banquette où Shââ était lui aussi paisiblement installé, pour me saisir du périscope à infrarouges. Je fixai longuement ces oiseaux de malheur et réglai l’instrument avant d’avoir un visuel satisfaisant. Lorsque ce fut le cas, un gémissement m’échappa. Des mouettes ! Des mouettes rieuses qui émettaient sûrement leur cri si célèbre à chacun de leur ouverture de bec intempestive. Que pouvaient-elles bien faire ici ? Par quel prodige planaient-elles au-dessus de l’océan arctique… au-dessus de nous ? Si j’avais été Christophe Colomb, je me serais réjoui de la vision de ces oiseaux côtiers. Je me contentais, moi, de ne pas savoir quoi en penser. Divers hypothèses savantes plus ou moins cohérentes se bousculèrent anarchiquement dans mon esprit.
B. s’amusa de mon air hagard, puis le silence se fit dans le bateau. Puis le silence se fit pesant dans le bateau. Les mouettes nous suivirent de nombreuses minutes, avant qu’une des leurs, plus téméraire que les autres, ne piqua vers nous. Elle fut rapidement imitée par de ses comparses. Agacé, B. prit la mouche.
- Ah, ces mouettes ! Elles rient à gésiers déployés, elles doivent prendre le sous-marin pour un gros, un très gros poisson. Moi j’vous l’dis, doc’, qu’elles en profitent ! Parce qu’elles riront moins quand je serai sorti ; et qu’en file indienne elles rôtiront autours de la pique où je les mettrai. Ca pour sûr, elles feront une belle brochette, j’en salive déjà !
Sur ce, il proféra quelques jurons de rigueur, puis de dépit, frappa la barre de son pied. D’abord amusé de la moue que je devinai sur son visage après l’impact ; je songeai, évasif, à son rêve de gastronomie volaillère. J’en avais moins même plus que ma ration de poissons, ce pain de la mer, cet animal à sang froid aux chairs flasques dissimulées sous une armure d’écailles. Un peu comme notre bathyscaphe, il est vrai. A se demander pourquoi ces mouettes qui nous narguent en ont fait leur met exclusif. Ma rêverie affamée quitta alors nos compagnons à écailles.
Ah ! Les mouettes. Que j’aurais aimé me réchauffer de leur viande à sang chaud. Que j’aurais aimé promener mes mains flétries par le gel dans leur plumage chaleureux. Que j’aurais aimé que leurs cris stridents eussent traversé la banquise, l’océan et la coque pour tromper le silence qui régnait en véritable maître sur le bathyscaphe.
Cependant, je ne pus m’empêcher de croire que le capitaine avait tort. Ces graciles volatiles étaient bien plus que des proies. Eprises de liberté, les pêcheuses se riaient des courants d’air frais, de la mer de glace et de la banquise impénétrable. Elles survolaient.
Les voir s’ébattre avec légèreté et tutoyer Apollon me rappela douloureusement nos propres difficultés à évoluer dans un milieu plus contraignant. Peut-être devrais-je voir leur liberté comme un cap, me dis-je, plutôt que laisser mon estomac nourrir mon monologue intérieur.
Derrière le miroir de la banquise, le hublot du bathyscaphe déformait l’apparence de nos agresseurs. Ces oiseaux, par ailleurs pas plus gros que des poules, paraissaient gigantesques. A tel point que même leurs sourires moqueurs en étaient presqu’intimidants. A contrario, pensé-je, de l’autre coté du miroir, notre sous-marin devait sembler d’autant plus grotesque. Avant de me rectifier bien vite : leur prêter un tel jugement serait bien trop les humaniser, elles qui ont un cerveau d’oiseau. Sûrement ne nous distinguaient-elles même pas à travers les vitres du bathyscaphe.
Ce fut Shââ qui me tira de ma réflexion. Le petit félin, visiblement intrigué par les volantes, se plaqua au sol, ventre à terre, la queue virevoltant de droite et de gauche, avant de bondir vivement en direction de ses proies. Bien entendu, le hublot refusa fermement que son bond n’aboutisse à quoi que ce soit. Le chat retomba sur ses pattes, avant de fuir par quelques pas affolés et se lécher la patte comme ceux de son espèce ont l’habitude de le faire quand ils veulent se faire oublier. Cela n’empêcha nullement B. et moi-même de rire de bon cœur aux exploits de ce si vif chasseur.
- Au moins, il aura essayé, lui ! , s’écria le navigateur entre deux gloussements. Je reconnais que même à la surface, même avec ma meilleure carabine, ce serait pas évident de leur caler un plomb dans le cul. Voyez comme elles virevoltent, ces garces ! J’ai jamais vu des piaffes voler de façon si erratique.
- Je ne suis pas ornithologue, mais je suis d’accord avec vous. La chasse serait plus aisée si leur comportement n’était pas si…illogique. Je marquai une pause. Heureusement ! Nous ne sommes pas ici pour jouer au balltrap et tirer du gibier, mais pour atteindre le pôle. Vous vous souvenez ?
Le navigateur me répondit en étouffant son amertume.
- Mouais, vous avez raison. Ce ne sont pas ces maudites bécasses qui vont nous détourner de notre vrai cap ! Allez ! A vos compas, doc’ ! Le pôle nous attend, pleine vapeur !!
J’applaudis son enthousiasme retrouvé, puis je détournai mon attention des cieux pour les eaux sombres vers lesquelles nous filions droit. Que nous réservent ces profondeurs abyssales ? Quels mystères devront-nous éclaircir avant d’atteindre notre destination ? Quelles nouvelles découvertes nous attendent au-delà de l’obscurité ? L’épopée continue…

Docteur G. , Lille, le 28/09/2008

2 commentaires:

PAPOUNET a dit…

hello, le mouetteur du nord !
je réalise que la rédacion de l'épisode date de laretrée 2008 !

Baptistisime a dit…

Oui, j'ai écrit cela tant que l'idée de la métaphore était fraîche dans ma tête^^
Que je publie ça maintenant est rigolo, vu que le capitaine B a enfin réussi à abattre une mouette qui était venue rire à sa barbe !Il a retrouvé ses sensations au fusil, et en tire une grande satisfaction. Il ne sait pas si l'oiseau est mort ou blessé, mais touché à coup sûr. Ca fera sûrement l'objet d'un épisode futur.
Enjoy !