mardi 16 décembre 2008

A bout de souffle ! Episode deux

Chapitre 2 : Alimentation : survivre


(Précision : je distinguerais cette notion de « ne pas mourir » de la survie par une considération temporelle : ne pas mourir, c’est la « Survie Urgente ».)

Une fois l’urgent assuré, on s’intéresse aux affaires courantes. Une fois l’apport en oxygène satisfaisant, on s’aperçoit que l’organisme a besoin de davantage de matière première pour tourner rond. Une fois que le bébé a poussé son cri, il lui faut vite téter sa mère. Une fois un effort achevé, on peut se surprendre à avoir faim, soif ou sommeil, alors même que l’essoufflement rendait ces sensations imperceptibles quelques instants plus tôt.

A l’instant où le « ne pas mourir » prend fin, la « survie » prend le relais dans la seconde. « Ne pas mourir » était la survie urgente, immédiate. Survivre est une survie lente, quotidienne. Quand le processus respiratoire intervient une cinquantaine de fois chaque minute, la digestion n’est sollicitée que trois fois par jour, le plus souvent. On peut ainsi reformuler le concept en fonction de l’échelle de temps :
- « Ne pas mourir » : Ordre de la seconde.
- « Survivre » : Ordre de la journée.
- « Vivre » : Ordre du siècle, voir plus.
Qu’est-ce que survivre « lentement », au jour le jour dit-on parfois ? De manière générale, j’entends par là tous ces métabolismes corporels à part trois (respiration, circulation sanguine, activité cérébrale). Cela concerne ainsi un grand nombre de fonctions organiques vitales moins rapides que la respiration, donc nécessaires moins immédiatement, donc plus faciles à différer. Le meilleur exemple est donc la digestion, que nous évoquions précédemment. On peut passer un mois sans manger, mais si l’on reporte trop cette fonction, le décès survient quand même. Le point important est là encore une considération de durée : ne pas respirer tue en cinq minutes ; ne pas manger en cinq semaines. L’importance de « ne pas mourir » est pareille à celle de « survivre ». Ni l’une ni l’autre ne sont identiques, seul le timing diverge.

Ce qui change tout au final. Les besoins les plus urgents sont toujours supérieurs aux autres, précisément du fait de leur urgence. A quoi servira-t-il d’avoir le ventre plein si c’est pour mourir asphyxié ? L’individu ne vivra pas assez pour voir le bénéfice de son repas… On pourrait appeler ça « les priorités par l’urgence ».
On l’a vu, ce deuxième temps de la vie peut grosso modo s’identifier à l’alimentation, bien que cela concerne également le sommeil, l’hygiène, faire ses « besoins », l’exercice physique. Toutes les fonctions nécessaires au bien être physiologique et qui bien souvent sont quotidiennes, ce qui illustre bien ce qui est précédemment (concernant l’échelle de temps et la possibilité de reporter ces activités).

Bien que l’alimentation, le repos et l’hygiène semblent des acquis dans notre société industrialisée, il ne faut pas oublier que ce confort n’est pas gratuit, et prend plus de notre temps que nous le pensons. Ne dit-on pas « gagner sa croûte » ? Le travail de nos jours : la vraie survie. Quand l’homme était un animal comme les autres, il passait ses journées à chasser pour se nourrir. Aujourd’hui, rien n’a changé, seul l’exercice quotidien est différent. Seul l’intermédiaire de l’argent est apparu, preuve que ce dernier est bien l’invention majeure de l’Humanité, symbole et mesure de survie et de ventres bien remplis. C’est sûrement pour cette raison que les humains le vénèrent autant !

L’aspect journalier est primordial. « Survivre », c’est la routine. C’est peut être d’ailleurs pour cela que cela nous parait si banal et si vil ; plus que le fait de ne plus devoir courir le lièvre au sens propre. « Ne pas mourir » et « survivre » ont fait l’objet dans tellement d’efforts de la part de l’homme du passé que leurs héritiers, nous, humains du XXIe siècle… Ces deux temps de la vie apparaissent comme « faciles », voir comme des formalités.

Plus préoccupant, le travail (donc la survie) est souvent jugé comme une tâche rébarbative et ingrate par la jeunesse actuelle. Manger n’est plus à la mode et ne suffit plus à tromper l’ennui. C’est devenu Has been, surfait. J’ai souvent l’impression d’entendre qu’il vaut mieux vivre que survivre.

Et pourtant si le quotidien peut être ennuyeux, il constitue une base essentielle de la vie. On pourra tenter de construire quoi que ce soit, si cette base n’est pas solide, le monument sera bancal. Il arrive que certains artistes vivent de leur art (activité qu’on pourrait classer dans le troisième temps de la vie « Vivre ») et vienne contredire cela… Mais la plupart du temps un ventre vide aura des difficultés à créer. Quel que soit le discours que l’on peut tenir sur le sens de la vie, sur toute la métaphysique surfaite qu’on invoque à tort et à travers… N’oublions pas qu’un clochard ne pensera qu’à demain et un malade à tout de suite. Rappelons-nous que les étapes devront être enchaînées dans le « bon ordre » dans la majorité des cas. Inutile d’hypothéquer le présent au nom du futur, inutile de tenter un saut trop périlleux pour griller les étapes.

Ce n’est qu’une fois que le corps n’est plus sous la menace d’une mort violente ou lente que le troisième temps de la vie intervient.

(A suivre)

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